samedi 5 mai 2012

Du voyeurisme


Le sujet que je voudrais aborder, ici, aujourd’hui, est un peu délicat. Tellement délicat que je sens que je ne vais pas me faire que des amis. M’enfin cette année, je commence à en avoir l’habitude. Un peu plus un peu moins, allons-y.

Le sujet, donc, comme annoncé n’est pas des plus faciles. Petit mise en situation. Le premier mai, cette année, a été exceptionnellement beau et clément. Les gens sont sortis en masse faire un tour pour profiter du soleil après un mois, voire un peu plus, de déluge. La rue est calme, et pour une fois, j’ai ouvert mes velux pour profiter de la douceur. J’entends quelqu’un crier dans la rue, encore un clodo qui a sa crise. L’inconvénient de vivre en centre-ville c’est qu’on participe à peu près à tout ce qui se passe sur le trottoir, même au troisième étage. J’écris « à peu près » parce que, là, ça a son importance. Pour la seconde fois en moins de cinq minutes, j’entends à nouveau beugler, mais pas au même endroit. Le son a tourné le coin de la rue. Pendant que je me lève de ma chaise et que je prends mon appareil (s’il se passe un truc sous mes fenêtres, autant le fixer).
Je descends sur mon palier, ouvre la fenêtre, et là, j’aperçois un attroupement, pile en bas de chez moi. J’épaule, je shoote. Un homme est à terre et trois personnes l’entourent. Certains tirent et réfléchissent ensuite, moi, je shoote et j’essaie de comprendre ensuite. Ce que je comprends, après coup, c’est que ça sent furieusement le délit de fuite. L’homme est là, par terre, étendu, de ce que je comprends, celui que j’ai entendu brailler, n’est pas celui qui est git par terre puisque d’après ma voisine de l’immeuble après le mien, il y là depuis un bon quart d’heure. Les trois hommes font la circulation, et, évitent qu’il se fasse rouler dessus. Les secours sont en route. A part attendre, il n’y a plus rien à faire. Je remonte chez moi, je me sens mal à l’aise d’assister à son inconscience. On n’est pas au cirque et la curiosité malsaine, je n’aime pas ça !

Après réflexion, je n’ai entendu aucun coup de frein. Me voilà avec ma photo dont je ne sais pas quoi faire. La publier, ne rien en faire …. J’ai laissé mariner pendant quatre jours. J’ai décidé, finalement d’en faire quelque chose. Je vous pose la question. Qui est le plus cynique et froid dans l’histoire. Qu’est-ce qui est le plus abject selon vous :
-        De faire la photo sans réfléchir, et de la publier alors que ça sent le voyeurisme ?
-        De passer sur le trottoir sans même jeter un regard parce qu’on l’a déjà fait quand personne ne regardait à vingt mètres de là ?
-        Ou bien d’avoir renversé ce pauvre type et de s’être barré parce que personne ne pouvait l’identifier ?







Prenons, maintenant, une photo faite jeudi soir au métro Rome. Le ton est donné dès la sortie. Le quartier est « populo », c’est crasseux, et les tracts que les deux activistes distribuent pour les prochaines élections sont rouges. Peuple, misère, communisme, forcément ça se marie bien par ici. Sauf que personne ne tend la main pour les prendre et ils ont un peu l’air d’une quiche avec leurs papiers. Tout le monde s’en fout. Je me tourne, je cherche à m’orienter, une amie et moi avons rendez-vous dans un café et je joue les GPS. Décidément, ça me poursuit ! 
Je tombe sur un clodo, encore un ! En même temps, à Paris, il y en a de plus en plus. Impossible de s’asseoir sur un banc, ils les squattent tous. M’enfin, celui-là c’est par terre qu’il git. Il s’est endormi dans son blouson, à sa tête sa bouteille de vin et un gobelet renversé sur le goulot. Un clodo classe ! Je le shoote, parce que j’ai déjà en tête une petite idée. Là aussi tout le monde s’en fout, ils font tous un écart pour l’éviter. D’ailleurs personne ne le voit. Ne les appelle-t-on pas les invisibles ? Il dort ! Le feu rouge est à côté, les voitures font un boucan de tous les diables, mais assommé par l’alcool il dort. Il n’a pas eu d’accident, il ne fait aucun bruit. 






Où est le choquant dans cette image ? Pour la plupart des gens rien. Comme écrit plus haut, des clodos, y en a partout ! La misère ne choque plus personne. On évite de la voir, on n’y pense pas, ça pourrait être contagieux ! Celle-là, je sais que peu de gens vont me la reprocher. Ceux qui le feront oublient que, eux non plus, ne lui auraient rien donné et l’auraient surement regardé à la dérobée. Le voyeurisme est donc à deux vitesses. On y prend du plaisir, on peut même parler de fascination. Et il y a le voyeurisme « sécure » où on peut regarder ces photos tranquillement chez soi et revenir dessus autant de fois que nécessaire. J’ai eu cette impression hier. 

J’étais chez le coiffeur et je suis tombée sur un article dans Gala avec des photos de Yuri Kozyrev accompagnent cet article. Après le massacre, il lui a été permis de photographier les cadavres. Ils avaient enlevé leurs vêtements pour se jeter à l’eau, croyant alors pouvoir échapper au forcené. Les corps sont là, exposés à l’objectif. On ne voit pas de sang, ils ont l’air de dormir, mais ce sont de vrais morts. Quand on a questionné Breivik sur sa façon de débusquer ses victimes, il a déclaré avoir fouillé les anfractuosités comme s’il avait dû s’y cacher lui aussi. J’y suis revenue deux fois. J’avais du mal à croire ce que je voyais. D’ailleurs, sur le net les photos sont inaccessibles.
Nous sommes tous des voyeurs, peu sont dangereux, parait-il que c’est partie intégrante de la nature humaine. Où s’arrête la bienséance ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire